QUEL AVENIR POUR NOTRE CONSCIENCE ?

Un changement majeur est en cours dont il est bien malaisé d’en discerner les conséquences futures pour notre conscience et notre vision du monde. Nous savons que ce changement est planétaire, dépendant de nous et hors de contrôle tout à la fois. La révolution technologique des moyens de communication modifie profondément et de manière irréversible tous les équilibres et enjeux du XXIème siècle, ne laissant aucunement présager de ce à quoi nous serons réellement confrontés dans notre vie quotidienne.

Nous pensons encore en termes de modèles abstraits et prévisionnels : écologie, démographie, économie mondiale, ressources diverses sont soumis au calcul statistique, à la projection mathématique, mais ces modèles s’avèrent obsolètes en ce qui concerne la nature des relations qui se tisseront entre les éléments du système global. C’est que l’avenir est opaque, incertain et irréversible.

Le vrai défi n’est peut-être donc pas tant de percer le secret de notre avenir mais de préparer les générations à user de leurs compétences créatives, adaptatives et interactionnelles.

Aborder la transformation éducative au travers du système familial, scolaire et professionnel semble alors inévitable pour inaugurer une nouvelle conscience. Saurons-nous en saisir l’urgence ?

Si la conscience du genre Homo comme telle n’a laissé aucun fossile, des traces de son développement jonchent notre parcours depuis plusieurs millions d’années.

D’Homo Habilis à Homo Sapiens en passant par Homo Erectus et Homo Neanderthalensis, on retrouve l’accès à une pensée conceptuelle avec la découverte de l’outil, de son perfectionnement et de sa personnalisation, et donc l’accès à une pensée esthétique, où la beauté et l’harmonie s’expriment. Les traces retrouvées de campement nous permettent d’imaginer une vie sociale et un partage des tâches, où apparaissent les premières solidarités.

La découverte des premiers ossements funéraires laisse imaginer l’apparition des particularités et traditions dans une pensée symbolique. Enfin, il y a entre -120 et -35 mille ans, devant l’angoisse métaphysique de la mort, l’apparition des cultes funéraires et l’émergence de la pensée religieuse se constituent et dont s’empareront les « grandes » religions L’art pariétal et l’instrument de musique traduisent également l’épanouissement de la pensée symbolique et associative.

Homo s’est physiquement transformé au cours de ce long périple : sa bipédie a permis à la boite crânienne de progressivement réduire son prognathisme et son front fuyant. Et d’une tête plutôt ovale, la tête s’est arrondie et le front est désormais vertical. Son appareil langagier s’est progressivement constitué et a rendu possible le langage articulé avec le développement du cerveau et des aires affectées à cette compétence.

C’est environ il y a 7000 ans qu’un changement majeur s’opère. La période néolithique, avec le passage à l’agriculture, l’élevage, la sédentarisation, va conditionner l’apparition de l’écriture et des premières grandes cités et civilisations. Cela sanctionne le développement du pouvoir hiérarchique le plus souvent absolu, des métiers, de leurs spécialisations et de leur diversité. La comptabilité et l’administration, l’impôt, la confiscation des terres et la citoyenneté restreinte en sont les moyens privilégiés. La pensée politique, culturelle et religieuse se fixent dans des écrits qui ont forces de loi…il faudra attendre Gutenberg et l’imprimerie pour voir l’oralité perdre ses dernières prérogatives contractuelles et symboliques.

La conscience continue cependant son parcours à travers ce qui est devenu l’Histoire, avec ses confrontations, ses guerres, ses religions et ses idéologies, ses conquêtes territoriales, ses occupations, ses esclavages et ses ethnocides mais aussi avec ses inventions, ses découvertes, ses arts et littératures, avec ses échanges commerciaux et ses avancées technologiques.

La complexité, si elle est présente dès le début sur le plan de notre phylogenèse et de nos premiers pas, concerne surtout des transformations fonctionnelles et adaptatives à notre environnement. Nos premiers échanges interpersonnels et inter espèces (Par exemple : genre australopithèque et genre homo ont pu coexister) sont relativement limités en termes d’organisation et de culture, la technologie et le peuplement étant réduits, l’environnement peu ou prou maîtrisés.

Mais à partir du néolithique, de -8000 jusqu’à l’apparition de l’écriture, c’est une véritable spirale de complexification croissante qui apparaît. Tandis que notre conscience s’enrichit de toutes les expériences, humaines, sociales, technologiques, politiques, religieuses et culturelles, la conscience des princes, monarques, empereurs et théocrates reste surtout préoccupée par la concentration du pouvoir, la domination sur les peuples, l’accaparement des richesses, l’hégémonie territoriale et internationale, tout en utilisant cet enrichissement culturel. Partout sur la planète, en témoigne la démesure de l’architecture des palais, des édifices religieux, des forteresses et châteaux, du faste des tombes, demeures et cités de puissants, si loin de la pauvreté des populations qui les ont construits mais ravissant aujourd’hui les touristes et amateurs de culture qui en admirent les vestiges et veulent donner un sens séduisant à l’histoire.

Malgré l’apport du siècle des lumières en France, et son rayonnement européen au 18ème siècle, malgré la sortie de l’obscurantisme, malgré le triomphe naissant de la pensée logique et rationnelle, la révolution industrielle qui se met en route en fin de siècle, dans une accélération historique inimaginable pendant tout le 19ème, sonne le glas de la prééminence du politique sur l’économique. L’économique rejoint un paradigme qui s’affirme et règne sans limite : la conquête des océans, des continents et des peuples partout sur la planète servent le dessein d’une exploitation méthodique des ressources naturelles. L’homme devient progressivement un sujet/objet économique que l’on gère dans un processus d’organisation scientifique du travail… En fin de ce siècle et tout au long du 20ème, l’école publique sera créée et développée d’abord pour répondre aux besoins économiques sur la « terre promise » où le « Dieu Science » mène l’homme, c’est à dire la planète entière et son espace infini.

C’est véritablement l’écriture, comme aujourd’hui l’informatique, qui projette notre conscience dans une sphère existentielle nouvelle : la création, la thésaurisation et la diversité de nos pensées, certitudes, théories et idéologies, perceptions du monde constituent un « savoir » ayant un « pouvoir » sur le réel (le définissant comme réalité) c’est à dire sur la matière, l’air, les éléments naturels, la géographie, la faune et la flore, tous les êtres vivants et leur organisation éco-biologique.

C’est cette sphère d’abstractions, cette « noosphère » faite de notre esprit et par notre esprit, qui est interpellée non par la pandémie actuelle mais par l’histoire des pandémies car à chaque apparition de celles-ci notre positionnement et notre interaction sont impliqués dans ce qui nous arrive, dans ce que nous co-créons dans nos modes de vie.

Alors oui, certaines questions sont inévitables autant que cruciales dans nos sociétés.

L’obéissance, par l’exercice de l’oppression et de la peur, par la promesse d’une sécurité toujours plus prégnante, par la promesse d’une assurance contre tous les risques possibles et imaginables, peut-elle être le tuteur d’une conscience citoyenne ? L’infantilisation des citoyens, paradoxalement liée à une loi que nul n’est censé ignorer mais codée de manière sectaire, peut-elle rester le modèle de gestion des hommes et de leur société ? Restera-t-on définitivement au stade du « Panem et circenses » pour anesthésier le libre arbitre et réorganiser l’ordre mondial entre les mains de quelques financiers, politiciens et spécialistes asservis ? La médicalisation de la vie de « l’homme objet » et sa priorité politique peuvent-elles ne reposer que sous l’autorité du savoir médical ? La malaria, connue de la médecine depuis plus d’un siècle, continuera-t-elle pourtant à tuer, surtout en Afrique, 450000 personnes tous les ans ?

Ce tableau pourrait paraître bien noir si l’on ne mentionnait pas qu’à toutes les époques des leaders, des forces humaines de tout bord furent animés des meilleures intentions, de leur désir et de leur réussite parfois à construire un monde meilleur, avec plus de liberté, d’égalité et de fraternité… En outre, quelle représentation avons-nous de la conscience dans les autres cultures ?

Pour autant, serons-nous, sceptiques, révoltés ou vindicatifs, rejetés au rang de naïfs, d’utopistes, de populistes voire de terroristes ?

Chacun trouvera ses réponses et si celles-ci rendent le consensus difficile, au moins aura-t-on remis la polémique, au sens premier, au centre de nos relations. Du désordre apparent surgira peut-être, comme l’histoire le montre aussi, l’évidence que le « vivre ensemble » sans piller l’autre et la planète est encore à construire et que la conscience humaine ne peut être que participative et associative, et non soumise aux diktats d’un pouvoir savant et arrogant de surcroît bien trop éloigné de chacun de nous.

Si la complexité a atteint une ampleur telle que nous ne pouvons plus la gérer, alors il faut s’attendre à l’effondrement et si nous voulons et décidons d’enrayer le processus entropique alors notre conscience doit redéfinir ses valeurs fondamentales et non celles présentées comme telles.

Comme dans toute crise, nous avons l’opportunité de re-décider de nos choix à un autre niveau que ceux inscrits dans le système-problème. Tel est l’enjeu pour la survie de la conscience humaine.

 

Philippe STAMATIOU

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